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La montagne, en première ligne face au réchauffement climatique

Des glaciers qui reculent, des roches qui s’effondrent, une neige qui disparaît... : avec les régions arctiques, les montagnes sont les zones de la planète qui se réchauffent le plus vite. Avec, à la clé, des conséquences sur tous les plans : tourisme, ressource en eau, pastoralisme, etc. Pour y faire face, chaque territoire est appelé à se transformer.

COMPRENDRE

Sentinelles du climat, les montagnes se réchauffent deux fois plus vite

Dans les Alpes et les Pyrénées françaises, la température a augmenté de +2°C au cours du 20ᵉ siècle, contre +1,4°C dans le reste de la France (source Météo France). Les effets de ce réchauffement varient fortement selon l’altitude.

Fonte des glaciers, hausse des risques naturels

Les glaciers ont reculé de façon spectaculaire, surtout depuis les années 1980. Dans les Alpes, ils ont perdu 70 % de leur volume depuis 1850, dont 10 à 20 % depuis 1980 (en France, comme dans le reste de l’Europe). Dans les Pyrénées, le glacier d’Ossoue a perdu 64 % de sa surface entre 1924 et 2019. Ce recul se poursuivra en s’accélérant dans la mesure où la température actuelle leur est déjà défavorable. Même dans les scénarios les plus optimistes, où la planète atteindrait la neutralité carbone d’ici 2050, les experts prédisent la disparition des glaciers en France, sauf à très haute altitude.

Cette fonte augmente les aléas naturels localement : effondrements glaciaires, glissements de terrain dans les régions de moraine instables, chutes de séracs, etc. Elle peut engendrer aussi la formation de poches d’eau qui exposent les populations environnantes. Ainsi la commune de Chamonix a-t-elle dû vidanger en partie le lac formé à la suite de la fonte du glacier des Bossons. Invisible mais toute aussi lourde de conséquence : la dégradation du permafrost (terres gelées). Avec la hausse des températures en été, tout ce qui est habituellement tenu par la glace dans les couches profondes de la montagne est déstabilisé. Les parois rocheuses se fragilisent. Laves torrentielles, écroulements, glissements de terrain deviennent plus fréquents. Ces 20 dernières années, le permafrost a presque disparu dans les faces sud du Mont-Blanc en dessous de 3 300 m d’altitude. D’ici 2100, on ne devrait plus en trouver qu’à partir de 4300 m. Dans les scénarios les plus critiques, il aura totalement disparu. Avec de graves perturbations à la clé.

Au-delà de la fonte des glaces, le changement climatique accentue la survenance de risques naturels d’ores et déjà omniprésents en montagne. Inondations, sécheresses, érosion des sols peuvent eux-aussi augmenter le risque de crues et laves torrentielles, chutes de blocs, avalanches, … et leurs conséquences sur les voies de circulation et les territoires.

En dessous de 2000 m, la neige se fait plus rare

Le changement climatique réduit l’enneigement naturel, en particulier à basse et moyenne altitude. Il pleut plus qu’il ne neige en hiver et la neige fond plus vite. Résultat, le manteau neigeux rétrécit.

En Europe, les Alpes ont perdu près d’un mois d’enneigement ces 50 dernières années. Le manteau neigeux tend à s’y constituer plus tard en hiver, quelle que soit l’altitude. Dans les Pyrénées, même constat. L’enneigement s’est fortement réduit depuis 50 ans, notamment sur les versants sud. Dans les Pyrénées centrales, le manteau neigeux a perdu la moitié de son épaisseur.

Et demain ?

Toutes les projections scientifiques sont pessimistes : la tendance est irréversible. À horizon 2050, l’enneigement sera réduit de plusieurs semaines et le manteau neigeux aura perdu 10 à 40 % de son épaisseur, en moyenne montagne, quelle que soit la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Cette tendance n’empêchera pas les fortes variations d’enneigement d’une année sur l’autre, comme par le passé. Après 2050, ces conditions devraient se stabiliser si la planète atteint la neutralité carbone. Si les concentrations de gaz à effet de serre restent élevées, la neige aura quasiment déserté la moyenne montagne à horizon 2100 : le manteau neigeux aura perdu 80 à 90 % de son épaisseur, la durée de l'enneigement sera fortement réduite (source : Météo France).

Montagne neige

Des stations de montagne impactées

La baisse inéluctable de l’enneigement naturel menace la viabilité de la saison hivernale des domaines skiables, d’autant que le réchauffement climatique limite les possibilités de produire de la neige de culture. Depuis plusieurs décennies, avec le damage, la neige artificielle est devenue indispensable pour sécuriser la fiabilité du domaine skiable face aux variations d’enneigement. Mais les fenêtres de froid nécessaires à sa création en début de saison diminuent en raison du réchauffement climatique. Des chercheurs du Centre national de recherches météorologiques (CNRM, Météo-France/CNRS) et d’IRSTEA-Grenoble ont modélisé les perspectives d’enneigement dans les stations de ski, en intégrant le recours au damage et à la neige de culture. Voici leurs résultats pour les 129 stations des Alpes françaises étudiées :

  • Jusqu’en 2050 : quel que soit le scénario climatique, une couverture de l’ensemble des domaines skiables à 45 % par la neige de culture permettra de maintenir les conditions d'enneigement comparables à la situation de référence sans neige de culture (1986-2005).
  • Après 2050, si le réchauffement planétaire dépasse 3 °C, la neige de culture ne suffira plus.

Autre constat de ces scientifiques, concernant les Pyrénées : à partir de 2050, les pires conditions connues à l’exploitation des stations de sport d’hiver, autrement dit, « les années sans neige » se produiront, à l’avenir, toutes les 2 à 3 saisons dans le scénario le plus favorable. Elles seront quasi-permanentes dans le scénario le plus noir.

Régime des pluies, ressource en eau : des évolutions incertaines

Comment vont évoluer les précipitations avec le réchauffement climatique ? De grandes tendances se dégagent : en hiver, les précipitations s’accentuent et augmentent le débit des rivières, avec une avancée du pic de fonte au printemps (Hock et al., 2019 ; Laurent et al., 2020). L’intensification des précipitations augmente les risques de crues et de glissements de terrain.

En été, les pluies se font plus rares, les ressources en eau aussi. Exception faite, des zones situées à proximité des glaciers, en raison de leur fonte. Cette fonte perturbe le cycle de l’eau. Jusque-là les glaciers aidaient à réguler le débit des rivières au printemps et en été en restituant l'eau douce, captée sous forme solide l’hiver. Leur fonte précoce et leur disparition programmée à terme menace cette fonction.

Stress hydrique

Les sols montagneux s’assèchent. A Embrun, par exemple, la sécheresse a augmenté de près de 50 % depuis 1970. La raison ? Ce n’est pas dû à une baisse des précipitations mais à des températures en hausse : l’eau s’évapore du sol, les plantes transpirent davantage.

Forêts, prairies : des écosystèmes en mutation

En montagne, la forêt est menacée à plusieurs titres. L’assèchement des sols liés à la hausse des températures fragilise les forêts sur les terrains à forte pente, qui assurent un rôle de protection contre l'érosion et les glissements de terrain. Par ailleurs, cet assèchement augmente le risque incendie dans les massifs forestiers, y compris ceux qui, jusque-là, en étaient exempts.

Mais surtout, les températures plus clémentes favorisent les parasites (vers, champignons, virus...) allant jusqu'à menacer d'extinction complète certaines essences. L'épicéa, ravagé par le scolyte est d’ores et déjà considéré comme condamné par les forestiers. Enfin, la mutation la plus spectaculaire portera sur la remontée des étagements montagnards, puisqu’une hausse de température de 1 °C se traduit par une élévation de 150 mètres en altitude. Cette migration ne s’opère toutefois pas assez vite pour contrecarrer les effets du changement climatique.

Des pelouses qui se modifient

Montagne pelouse

Le réchauffement climatique a des conséquences sur la phénologie des plantes, c’est-à-dire la vitesse à laquelle elles vont grandir, fleurir puis mûrir. Avec un déneigement de plus en plus précoce et des températures plus chaudes durant la période de végétation (l’été), le développement des plantes s’accélère, les prairies d'alpages poussent de plus en plus tôt. A priori, cela pourrait améliorer les rendements agricoles. Mais ce diagnostic est à relativiser : la chaleur favorise la propagation des ravageurs et épizooties tandis que les risques accrus de gel précoces et de sécheresses estivales peuvent bloquer la croissance de la végétation ou la faire périr.

L’agropastoralisme fragilisé

Activité agricole très présente en montagne, l’élevage - dont l’alimentation repose sur la récolte de fourrages pour l’hiver et le pâturage le reste de l’année - est affecté par le changement climatique. D’ores et déjà, on trouve moins d’herbe dans les alpages à certaines périodes, et de plus en plus de zones où les points d’eau se tarissent.

AGIR

Le changement climatique bouleverse l’économie, l’environnement et la société montagnardes, très dépendantes des ressources naturelles et de la météo. Sur chaque territoire de montagne, la transition doit s’appréhender de façon globale et systémique et surtout, se construire sur mesure avec les habitants. Fini le modèle unique. Chacun des territoires doit inventer sa propre trajectoire de transformation avec ses forces et ses faiblesses.

Sortir du « tout ski » et désaisonnaliser

Montagne vtt

Le tourisme occupe une place centrale dans l’économie montagnarde. Pour les stations, le principal défi est de se transformer face à la réduction de l’enneigement. L’enjeu : sortir de l’hyper-dépendance au ski, de la spécialisation sur un lieu (la station) et une période (l’hiver), pour développer des territoires de vie attractifs à l’année. Chaque station est appelée à élargir son offre touristique (activités de pleine nature, valorisation des patrimoines naturel et culturel, festivals, ...), à une échelle géographique plus grande, voire à réinterroger sa pertinence.
Certains acteurs invitent à « dépasser le mythe de la station qui sauve la montagne ». Ils défendent l’idée d’une montagne à vivre, tournée davantage vers l’accueil de nouveaux habitants, le développement de nouveaux services que vers la conquête de touristes venus du bout du monde.
Penser l’avenir de la montagne appelle des réflexions plus globales sur l’avenir de ses métiers et les nouvelles compétences à acquérir. Se transformer n’est pas simple : renoncer au ski faute de neige, trouver des modèles alternatifs, concilier les enjeux de court terme et long terme, traiter à la fois les questions écologiques, politiques, sociétales, économiques… autant d’arbitrages complexes à mener au plus près de la réalité locale, dans des cadres de concertation qui impliquent les différentes parties prenantes, sans oublier les premiers concernés, les habitants. S’adapter appelle une gouvernance adaptée à la prise de décision sur des intérêts divergents à des échelles de temps et de lieux différents.

Les montagnes deviennent un refuge pour citadins en quête de nature et de fraîcheur. Cette hausse de fréquentation risque toutefois d’amplifier les pressions sur les espaces fragiles et les tensions avec les activités pastorales.

Partager l’eau

Jusque-là les montagnes - connues pour jouer le rôle de château d’eau - n’en ont jamais manqué ; le changement climatique modifie la donne, en bouleversant les cycles hydrologiques. Alimentation en eau potable, agriculture et pastoralisme, neige de culture, tourisme d'eaux vives, production hydroélectrique, etc. autant de secteurs concernés qui doivent apprendre à s’adapter en conciliant les usages.
Conscients de cet enjeu, les territoires sont de plus en plus nombreux à mettre en place des outils pour réguler localement la gestion de l’eau, et ce, de façon concertée  : schémas d’aménagement et de gestion de l’eau (SAGE), contrats de milieu ( « rivières », « lacs »…), projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE). Autant de démarches de conciliation à amplifier, en y associant tous les acteurs locaux.

Adapter le pastoralisme

Montagne vaches

Très présent en montagne, le pastoralisme dépend directement du climat. Fortes chaleurs et sécheresses accroissent les risques de pertes de récoltes et de ressources fourragères. Dans certains secteurs, les alpagistes doivent parfois déjà limiter le nombre de bêtes à monter, ou les faire redescendre plus tôt à la fin de l’été, car il n’y a plus assez de ressources en herbe et en eau.

Faire avec des années très variables

Les années se ressembleront de moins en moins. Il y en aura des bonnes et des mauvaises. Le pastoralisme devra faire avec des printemps précoces, l’alternance d’années sèches ou humides. Ajuster la conduite du troupeau, modifier la structure de l’alpage, réorganiser l’exploitation… De nouvelles pratiques agricoles sont à développer. Éleveurs et bergers doivent trouver ensemble des marges de manœuvre pour nourrir leurs troupeaux sans dégrader les végétations.

Il n’existe pas de recette universelle, mais un bouquet de solutions. Les moyens dépendent des régions et de l’intensité des aléas, des caractéristiques des alpages, comme de la diversité des végétations présentes, l’étagement altitudinal, ou encore des besoins des animaux estivés et de l’expérience des bergers. Chaque conduite de troupeau en alpage est donc spécifique. Le dispositif « Alpages Sentinelles » propose une méthode d'analyse de la vulnérabilité climatique d'un alpage. Cette approche reste à enrichir des retours d'expériences de terrain.

Gérer les aléas naturels

Montagne aléas

Avalanches, coulées de boues, affaissements et chutes de blocs, crues et laves torrentielles, incendies peuvent avoir des conséquences dramatiques sur les vies et activités humaines en montagne, en particulier du fait de la topographie encaissée des lieux. Une route coupée, et c’est toute l’économie d’une vallée, qui peut s’effondrer. Un système de soin, qui peut basculer.
La culture du risque est d’ores et déjà fortement présente en montagne, avec le souci premier de protéger les populations. Il s’agit désormais d’intégrer un nouveau paramètre : l’anticipation des conséquences du changement climatique. A partir de diagnostics prospectifs des aléas et enjeux pour leur territoire, les collectivités sont appelées à engager des démarches impliquant les acteurs locaux et les habitants dans la compréhension et la gestion de ces risques. Leur expertise d’usage est un savoir précieux dont elles auraient tort de se priver.

Faire de la nature, une solution face au changement climatique

Face au changement climatique, les solutions d’adaptation fondées sur la nature sont à favoriser. Ces actions présentent aussi des bénéfices pour la biodiversité.

En montagne, la forêt est le moyen adopté pour retenir les sols, amoindrir les dégâts des avalanches, absorber l’eau en cas de fortes précipitations et assurer une certaine humidité du climat en période sèche. Elle reste un atout clé face au changement climatique. Comment la préserver, alors qu’elle-même est fragilisée par le dérèglement du climat ? Pour les forestiers, le défi consiste à diversifier et renforcer la capacité de résistance des essences, face aux épisodes de sécheresses et épisodes climatiques extrêmes.

Observer, partager, décider ensemble

Séminaire en montagne sur les nouvelles gouvernances organisé par le Cerema dans les Pyrénées.
Séminaire en montagne sur les nouvelles gouvernances organisé par le Cerema dans les Pyrénées.

Conscients de l’urgence à s’adapter, les acteurs de la montagne multiplient les démarches visant à observer finement les implications immédiates du changement climatique sur les territoires et à élaborer des réponses adaptées au plus près des réalités de terrain.

Par exemple, le réseau Alpages sentinelles : sur un échantillon d’alpages et d’exploitations, des suivis permettent de comprendre les impacts du changement climatique et les stratégies d’adaptation ; ces indicateurs alimentent ensuite les échanges entre chercheurs, gestionnaires d’espaces protégés, techniciens agricoles, éleveurs et bergers. Autre illustration : le Programme Avenir Montagnes Ingénierie accompagne en ingénierie 62 territoires de montagne vers une stratégie sur-mesure de développement touristique adaptée à leurs enjeux écologiques et climatiques.

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