La mobilité urbaine à l’épreuve du climat : comment préserver le confort et la sécurité des déplacements ?
Inconfort pendant les canicules, rues transformées en torrent impraticables… Autrefois exceptionnels, ces phénomènes s’installent dans la vie des citadins. Face à la nouvelle donne climatique, collectivités et gestionnaires de transport explorent des solutions inédites pour préserver la fluidité et le confort des mobilités urbaines.

75 %
des usagers modifient leurs déplacements lors des canicules
(source : cabinet 6ter/Ademe)
60 %
renoncent à leur trajets non contraints
(source : cabinet 6ter/Ademe)
55 %
des usagers utilisent moins leur vélo quand il fait trop chaud
(source : cabinet 6ter/Ademe)
Comprendre
De quoi parle-t-on ?
Ce dossier se concentre sur les mobilités et politiques de mobilité urbaines, qu’il s’agisse de déplacements « intra-muros », ou des liaisons entre le centre-ville et sa périphérie (banlieue, villages). L'accent est mis sur les pratiques quotidiennes de transport en agglomération. Les questions d'infrastructures nationales (exemple : routes, voies ferrées nationales) et de tourisme étant traitées séparément (lire le dossier Infrastructures de transport ou Tourisme).
La chaleur bouleverse les habitudes de déplacements : 4 réactions
Les vagues de chaleur sont amenées à se multiplier. Dans la décennie 1980-1989, on comptait en moyenne trois jours de canicule, par an. Entre 2013 et 2022, la moyenne a grimpé à douze jours par an. En 2050, on s'attend à cinq fois plus de jours de vagues de chaleur par an. Au-delà des dégradations matérielles sur les infrastructures de transport (fonte de bitume, vieillissement prématuré, défaillance des caténaires des trains…), ces coups de chaleur perturbent fortement nos comportements de mobilité : 75 % des usagers modifient leurs déplacements selon une étude du cabinet 6T, publiée en 2024 avec l’Ademe.
- Le renoncement domine, avec 60 % qui renoncent à leurs trajets non contraints – courses, loisirs, activités sportives, autant d’activités qui contribuent pourtant à la vie sociale, au bien-être physique et mental, mais que les températures découragent. Plus le mercure grimpe, plus la stratégie d’évitement s’aggrave.
- Le décalage temporel constitue la deuxième stratégie. Un tiers des individus avancent leur déplacement le matin (20 %) ou le retardent (12 %) aux heures les moins chaudes. Effet collatéral positif : ces décalages réduisent les embouteillages aux heures de pointe de 8 à 15 % sur le créneau 8h-10h. Ces décalages concernent surtout des activités non contraintes.
- La voiture comme refuge climatisé séduit de plus en plus. 53 % des sondés la jugent "agréable", contre seulement 24 % pour les transports en commun ou le vélo, et 17 % pour la marche. Résultat : 16 % d'usagers déclarent prendre davantage la voiture pendant les canicules. La marche et le vélo baissent chez 55 % d’utilisateurs en cas de fortes chaleur. Seul le vélo électrique résiste, agissant comme une climatisation naturelle au-delà d'une certaine vitesse.
- Cette dynamique nourrit ce que les experts appellent « le cercle vicieux de l’automobilité ». En effet l’usage de la voiture contribue au réchauffement climatique global en raison des polluants qu'elle émet (CO2, particules fines). Il accentue aussi la surchauffe urbaine par ses rejets d’air chaud en ville. Briser ce cercle suppose de rendre les modes alternatifs plus attractifs par fortes chaleurs.
- Le télétravail reste limité et inéquitable. Le télétravail, souvent présenté comme une solution, reste l'apanage d'une minorité. Les trois quarts des actifs ne sont pas autorisés à télétravailler un jour de canicule. Cette pratique suppose un emploi compatible, une autorisation de l’employeur, mais aussi un logement suffisamment confortable. Une partie des salariés préfèrent rejoindre leur bureau, même autorisés à rester chez eux. Au final le télétravail reste l'apanage des cadres (7 %, contre 3 % des employés/ouvriers).
Inondations, cyclones, tempêtes : les catastrophes naturelles rendent nos déplacements dangereux ou impossibles
Autre impact majeur du changement climatique sur la mobilité : les inondations, de plus en plus fréquentes et intenses. Une rue inondée et c’est toute la circulation qui est coupée, avec parfois des risques de paralysie à l’échelle d’une rue, d'un quartier, voire, de la ville toute entière. En cause ? La forte imperméabilisation de la rue et les techniques traditionnelles d’assainissement : le principe du « tout à l’égout » vise à renvoyer l’eau de pluie vers les réseaux enterrés : sous-dimensionnés, certains saturent et refoulent l’eau en surface.
Agir
Adapter les infrastructures et l’exploitation
Adapter les réseaux de transport constitue la première ligne de défense face aux aléas climatiques. Intégrer l’enjeu de l’adaptation à chaque étape du cycle de vie des infrastructures, de leur conception à leur exploitation, est devenu incontournable. Conscients du sujet, pouvoirs publics et opérateurs engagent des études de vulnérabilité de leurs réseaux et élaborent leurs stratégies d’adaptation pour protéger les plus stratégiques d'entre-eux. A leur disposition, un mix de solutions possibles.
Un enjeu clé est d'améliorer le confort d’été des usagers des transports en commun. De plus en plus de gestionnaires de transports innovent avec des dispositifs rafraîchissants pour améliorer l'expérience voyageur. Exemples.
- À Bordeaux, Kéolis Bordeaux métropole mobilité expérimente depuis 2024 un triptyque d'adaptations : peinture blanche réfléchissante sur les toitures des tramways pour éviter la surchauffe des systèmes de climatisation, films anti-UV sur les vitres permettant de réduire la température intérieure de 6 à 9 degrés, et système de renouvellement d'air sans apport de chaleur extérieure.
L'initiative s'étend aux espaces d'attente. Les toits d'abris bus se végétalisent tandis que l'opérateur revoit la conception des arrêts de bus ou de tramways en permettant des courants d’air. Keolis encourage aussi l'usage d'applications mobiles pour limiter le temps d'exposition des usagers aux fortes chaleurs. Une stratégie que valide la RATP, qui vise 75% de ses bus climatisés d'ici 2026 et 100% en 2035. - À Montpellier, la Tam et la Métropole expérimentent deux arrêts de bus "rafraîchissants" sur la ligne 14. Le premier mise sur une double façade végétale et des assises en céramique et terre crue qui restituent la température ambiante, contrairement aux matériaux métalliques traditionnels pouvant atteindre 60°C. Le second s'inspire du biomimétisme pour concevoir des structures plus respectueuses de l'environnement.


Repenser l’aménagement urbain : pour un urbanisme favorable à la mobilité
- Rafraîchir les parcours pour favoriser les mobilités actives. Végétaliser la voirie devient un levier stratégique, pour favoriser les mobilités actives, inciter à la marche, trottinette, au vélo et éviter le report modal systématique vers la voiture. La place croissante du végétal le long des voies de déplacement permet de rafraîchir l'air ambiant grâce à l'évapotranspiration des arbres et à leur ombrage. Cette démarche nécessite de repenser les plans de circulation et de hiérarchiser les usages selon le profil des rues.
Au-delà du végétal, l'arsenal technique s'enrichit de dispositifs éphémères ou permanents : brumisateurs, revêtements à albédo élevé, voiles d'ombrage dans les rues étroites, mobilier urbain innovant. Ces solutions bénéficient particulièrement aux populations vulnérables - enfants, femmes enceintes, personnes âgées. Elles peuvent aider les villes touristiques soucieuses de maintenir leur attractivité l’été.


- Vers une "ville perméable" pour gérer les précipitations extrêmes. Parallèlement à la lutte contre la chaleur, les collectivités développent des stratégies face aux pluies torrentielles. Le concept de "ville perméable" repose sur l'infiltration de l'eau de pluie au plus près de son point de chute, limitant au maximum le ruissellement sur les surfaces imperméabilisées.
La végétalisation des espaces urbains facilite l'infiltration de l'eau dans le sol et le stockage, tout en atténuant l'intensité des canicules. Les solutions techniques se diversifient : structures réservoirs enterrées, tranchées d'infiltration, noues paysagères, jardins de pluie, ou encore nouveaux revêtements poreux.
- La réglementation évolue pour accompagner ces mouvements. Deux nouvelles possibilités s'offrent aux gestionnaires pour végétaliser les places de stationnement. Première possibilité, la Loi d’orientations des mobilités (2019) impose désormais de neutraliser les places de stationnement au moins 5 mètres en amont. L'équivalent d'une place de voiture peut donc être consacré à la renaturation. Seconde possibilité, la Loi Climat-Résilience (2021) oblige les parkings neufs ou de grande taille (plus de 500 m²) à installer des dispositifs d’ombrage (arbres, ombrières…)et des systèmes de gestion durable des eaux pluie sur plus de la moitié de leur surface.
Lire aussi : faire de la rue, une alliée face au changement climatique


Adapter les comportements : vivre au rythme des contraintes climatiques
L'adaptation climatique de la mobilité soulève des questions d'équité territoriale. Il s'agit notamment de faciliter l'accès aux services de santé et aux espaces refuges aménagés pour les populations vulnérables lors d'épisodes climatiques extrêmes. Ce qui implique de bien les localiser et de veiller à organiser des déplacements spécifiques.
Un enjeu d'équité territoriale
L'adaptation climatique de la mobilité soulève des questions d'équité territoriale. Il s'agit notamment de faciliter l'accès aux services de santé et aux espaces refuges aménagés pour les populations vulnérables lors d'épisodes climatiques extrêmes. Ce qui implique de bien les localiser et de veiller à organiser des déplacements spécifiques.